Le 9 mars 2023, a été adoptée le Loi DADUE portant sur diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dont la transposition de l’EAA. Cette transposition était très attendue pour faire avancer la prise en compte de l’accessibilité et accentuer les sanctions pour non-respect de la réglementation.
Malheureusement même si nous pouvons constater un élargissement des entreprises et supports concernés et si nous pouvons saluer certaines avancées, cette transposition soulève toujours des questions et des points d’alerte.
Au sein des équipes conseil d’IPEDIS, cela a fait débat et nous avons mis en exergue 3 points qu’il nous semble important d’analyser.
Critères et niveau de conformité
La directive européenne et sa transposition précisent «Tous les sites et plateformes de commerce électronique doivent être accessibles pour les nouveaux services à partir de 2025 et pour l’existant à partir de 2030.».
Or aujourd’hui, un site considéré comme « accessible » est un site conforme à 100% avec le RGAA. Notre expérience nous enseigne malheureusement que très peu de sites sont dans ce cas-là. Notre crainte est donc que la plupart des organismes concernés par l’obligation abandonnent tout simplement et décident de payer l’amende au lieu d’essayer de rendre leur site à minima accessible, surtout si aucune démarche d’accessibilité n’a déjà été entreprise en interne. De plus, même si la loi fixait un pourcentage minimal à atteindre, tous les critères du RGAA ont la même valeur dans le calcul du taux aujourd’hui. Théoriquement, un site avec un score de 90% pourrait ne pas être accessible au clavier.
Une piste à envisager serait de considérer certains critères du RGAA comme indispensables pour pouvoir qualifier un site d’« accessible ». Par exemple, la navigation au clavier sans piège avec un focus visible à tout moment, ou encore la retranscription de toutes les informations présentes visuellement au lecteur d’écran (images mais aussi libellé de boutons ou de liens) sont des aspects qui impactent de nombreux utilisateurs et peuvent les bloquer s’ils ne sont pas conformes. Si le site ne valide pas ces critères, il pourrait automatiquement être considéré comme non conforme et donc hors la loi.
Nous pourrions aussi faire évoluer le calcul du taux en donnant plus de poids à certains critères dans le score, comme la possibilité de zoomer à 200% sans perte d’information. De cette manière, les organismes seraient poussés à corriger en priorité les critères les plus impactant afin de remonter leurs notes . A ce jour, trop souvent ce sont les critères les plus simples qui sont priorisés.
Des précisions attendues sur les documents de bureautique
Au-delà de la conformité des outils digitaux en ligne (sites web, applications, extranet…), la question des communications électroniques et documents du quotidien manque de précisions dans cette transposition. Le terme utilisé pour parler de ces supports correspond à “informations transmises et aux consommateurs papier ou digitales”. Dans la très grande majorité du temps, les informations sont transmises électroniquement par le biais de documents PDF.
Ces documents PDF peuplent notre quotidien personnel et professionnel : factures, fiches de paie, relevés bancaires, présentations commerciales, notices d’information… Et pourtant encore trop de personnes ne peuvent pas consulter ces fichiers en toute autonomie.
Il est donc recommandé dans ce texte de transposition de communiquer avec des versions accessibles des documents mais sans préciser la ou les formes finales pour garantir cette accessibilité. Il existe une norme qui pourrait réunir un bon nombre de critères de conformité : la norme PDF/UA. Norme qui est d’ailleurs une référence dans d’autres pays et qui bénéficie de l’appui international de la PDF Association.
Des outils existent pour valider factuellement la conformité et cette norme est aujourd’hui la plus aboutie pour assurer une qualité de prestation. Nous attendons des précisions sur cet aspect de communication dans la transposition afin de garantir l’accessibilité de ces supports.
Par ailleurs, bien que le format PDF/UA ne soit pas parfait car il n’intègre pas les critères de contraste ni les bonnes pratiques en matière de typographie, il existe des alternatives pour obtenir des versions HTML accessibles à partir d’un PDF correctement balisé.
La confusion des organismes de contrôle
Aujourd’hui, l’obligation d’informer du référentiel RGAA n’a pas donné lieu à contrôle ou sanction depuis sa création en 2019. Il s’agit pourtant de vérifier la présence d’une déclaration d’accessibilité informant d’un taux de conformité et d’une démarche d’amélioration initiée. Si la sanction prévue de 20 000 euros par manquement et par service pour chaque année se voulait dissuasive, l’objectif est bien loin d’être atteint.
Il s’agit donc de se féliciter de la définition d’organismes de contrôle dès la transposition de la norme européenne et voir s’afficher une volonté de s’assurer du respect de l’obligation d’accessibilité.
En effet des organismes de contrôle sont définis par la transposition suivant les services ciblés par la norme européenne. On peut ainsi mentionner par exemple la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) pour le secteur du e-commerce ou bien encore la Banque de France pour les systèmes d’authentification et de signature électronique.
Si ces organismes sont des experts reconnus dans leur domaine, il convient de s’interroger sur leur potentielle maîtrise des attendus en accessibilité numérique.
Au-delà d’appréhender les enjeux de l’accessibilité numérique, une prise en main des référentiels et de l’ensemble des critères techniques, graphiques et éditoriaux sera nécessaire. Cela va engendrer un temps de latence indéniable avant la mise en application de ces contrôles et d’éventuelles sanctions. Qui peut sanctionner sans bien maîtriser les règles à vérifier ?
De plus, si des agences et experts en accessibilité peuvent accompagner ces organismes de contrôle, les organismes concernés par l’obligation vont également solliciter des accompagnements et de la formation pour initier une démarche de mise en place et de pérennisation de l’accessibilité.
L’objectif notamment de la directive européenne et de la transposition est de garantir un niveau d’accessibilité harmonisé partout en Europe. L’extension du marché et la croissance des besoins amènera mathématiquement à un marché également plus concurrentiel. Souhaitons surtout que cela permette de tendre vers toujours plus de qualité et de tirer vers le haut les standards d’accessibilité.
Il est à noter que la plupart des formations initiales dans le secteur du numérique (développeur, chef de projet, UX…) laissent peu voire pas de place au sujet de l’accessibilité. Au-delà d’apprendre à tester l’accessibilité via un référentiel, il faut évaluer la criticité et la priorisation des non-conformités relevées au regard de leur impact utilisateur pour établir de véritable stratégie de mise en conformité et savoir la mettre en place.
Et la suite ?
La priorité pour IPEDIS est de placer l’utilisateur au centre des décisions. Les pistes de réflexion que nous avançons seraient intéressantes à développer et discuter avec les associations spécialisées concernées mais aussi avec des confrères experts pour aller plus loin.
Au-delà de cette loi, ce sont les amendements que l’on attend pour confirmer que le cadre et les sanctions seront adaptés à la réalité. Pour éviter un non-respect de la loi comme c’est encore trop souvent le cas aujourd’hui. Un certain nombre d’entreprises ont déjà pris le tournant de l’accessibilité et n’ont pas attendu les sanctions. Elles ont anticipé et pris en compte les besoins utilisateurs en instaurant une démarche d’inclusion pérenne.
Le durcissement du contexte européen doit être un déclencheur pour l’ensemble des acteurs privés et publics. Nous espérons aussi vivement que ce n’est que le début de la prise en compte du handicap et du caractère non facultatif de l'accessibilité numérique dans notre société.